samedi 9 décembre 2023



LES VISIONS FANTASMAGORIQUES D'ADRIAN GHENIE.


Difficile d'imaginer un artiste qui cadre mieux avec le titre de ce blogue !  Le peintre roumain Adrian Ghenie reproduit sur ses toiles sa vision très personnelle de grands personnages et des traumatismes collectifs de l'Histoire humaine, de même que celle de l'histoire de l'art de la peinture.

Ghenie, 46 ans, originaire de Baia Mare, au nord de la Roumanie, près de la frontière avec l'Ukraine, vie depuis une dizaine d'années dans son atelier de Berlin.  C'est un des plus célèbres peintres contemporains. Ses oeuvres sont très recherchées des collectionneurs internationaux, et certaines se vendent plusieurs millions de dollars.  Mises aux enchères à un bon prix, elles finissent souvent par se vendre à dix fois l'évaluation de départ.

NICKELODEON (2008) LA TOILE QUI A RENDU CÉLÈBRE ADRIAN GHENIE
Il se décrit lui-même comme un marginal de la société, et il préfère l'anonymat.  Et bien qu'il ait été influencé par des peintres comme Titien (Italie 1488-1576 ⇨ par sa technique de superposition de couches de couleurs), l'Irlandais Francis Bacon (Dublin 1909-Madrid 1992), l'Espagnol Pablo Picasso (Malaga 1881-Mougins 1973), le Suisse Alberto Giacometti (Borgonovo 1901-Coire 1966), l'Ukrainien Kasimir Malevitch (1879-1935) et le Néerlandais Piet Mondrian (1872-1944), par leur façon de déconstruire et de reconstruire autrement les objets et le corps humain, Ghenie possède son propre style et il choisit les sujets de ses tableaux sans se soucier de ce que les autres artistes ou les gens, en général, disent, veulent, aiment ou pensent.

Sa technique et ses idées de création, il les a apprises de chaque tableau des grands maîtres qui ont jalonné l'histoire de la peinture.  Des Grecs Anciens jusqu'aux grands peintres du 20e siècle.  

Par exemple, dans ses toiles plus récentes, portant sur la manie actuelle des gens accrochées aux écrans d'ordinateurs et aux téléphones intelligents, desquels émanent une lumière ou une lueur bleue, Ghenie a fait un rapprochement avec les tableaux des peintres de la Renaissance qui faisaient le portrait de Saints auréolés et éclairés d'un rayon de lumière venant du ciel (Dieu).

SANS  TITRE  (2023)
Il travaille lentement (il produit une douzaine de toiles, en moyenne, par année), au milieu de son atelier, où le désordre et le chaos règnent.  C'est un fouillis qui est même nécessaire à sa création.

Avant de peindre sa toile, il a une idée de ce qu'il va faire à 60%.  L'autre 40% est un "work in progress".  Ses compositions sont faites de couches de peinture et de formes diverses, de distorsions juxtaposées et assemblées à la manière de l'art du collage.

Selon le sujet choisi, les couleurs sont chaudes ou froides, tantôt harmonieuses, tantôt contrastantes.  Ce que recherche Ghenie, au-delà du jugement esthétique des personnes qui regardent ses toiles, c'est de frapper leur imagination.  Qu'elles trouvent ses oeuvres belles ou non, ce qui compte c'est de leur en laisser une impression marquante, un peu mystérieuse et magique, durable, inoubliable.

L'ARRIVÉE  (2014)

Ses oeuvres sont également le reflet de sa propre histoire, de son inconscient, de son angoisse, de ses rêves, et de ses hallucinations, qu'il interprète à la manière du psychiatre suisse Carl Jung (1875-1961).

Surtout au début de sa carrière, Ghenie a travaillé à partir de ses souvenirs profonds.  De son enfance et de son adolescence marquées par son père, un dentiste.  Et de ses livres de médecine.  Un paternel athée et devenu indifférent à ce qui se passait dans le monde, et à la société, après sa retraite.

Un genre de maniaque souvent dépressif, qui amassait toutes sortes d'objets endommagés ou usagés (comme des pneus, ou des bouteilles).  Il gardait et empilait ces rebuts hétéroclites dans son garage, et dans le sous-sol de sa maison, avec le but de les réparer et/ou de les réutiliser plus tard.

BOOGEYMAN  (2010)

À sa mort, vers 70 ans, c'est son fils Adrian qui a eu la lourde tâche de faire le ménage dans ces endroits devenus une véritable jungle ou un immense dépotoir inextricable.

Les livres de médecine et d'anatomie de son père lui ont donné cette fascination pour le corps humain et sa composition.  Un de ceux-ci montrait des photographies horribles de tentatives de reconstructions chirurgicales de soldats défigurés lors de la première guerre mondiale.  Des images qui l'inspireront plus tard dans ses peintures.

Le désordre du garage et du sous-sol, dont il a dû disperser les contenus épars, l'a influencé dans le sens de sa façon de peindre ses sujets, soit en les reconstruisant dans un "savant" désordre, après les avoir déconstruits.

DR  MENGELE  2  (2011)

Le désordre et la saleté (taches de peinture partout, y compris sur ses vêtements) de son atelier, son indifférence à l'argent et à la religion; de même que sa tendance à la déprime, et à s'ennuyer, sont également des héritages de son père.  Son angoisse aussi, même s'il a tout de même un certain sens de l'humour.

L'acte de créer en peignant lui donne un sentiment de puissance, d'être en charge, libre et indépendant.  D'avoir le pouvoir de changer les choses, de les déterminer.  Il apparente son travail et ses oeuvres à de la science fiction, surtout maintenant, grâce aux applications technologiques qui permettent de modifier, fragmenter, déformer et transformer : couleurs, dessins et images.

Ayant vécu la première partie de sa vie sous le régime du dictateur roumain Nicolae Ceausescu (1918-1989), Adrian Ghenie a probablement été marqué par ce personnage assez monstrueux, et par l'histoire de ses grands-parents qui ont eux-mêmes vécus dans des pays également sous le joug de dictateurs ou de bourreaux comme les Nazis (Hitler, le Dr Mengele), ou les dirigeants autoritaires et sanguinaires de la Russie (Lénine).

POINT  TOURNANT  1  (2009)

Ce sont d'ailleurs les portraits (aux figures décomposées et recomposées, un peu à la Frankenstein) de ces "méchants" personnages ou d'artistes légendaires (Marilyn, Elvis, Van Gogh, Darwin) de l'Histoire qui ont fait connaître et apprécier le travail de Ghenie.  Sa série de tableaux sur lesquels apparaissent des personnages entartés (batailles de tartes à la crème) a également fait fureur et est très convoitée par les collectionneurs de partout sur la planète.

Voici un diaporama montrant quelques-unes de mes toiles préférées de Ghenie.


   

lundi 8 août 2022

DANS LA FOISONNANTE JUNGLE URBAINE DE GREGORY HERGERT.


Le fondateur du surréalisme urbain, l'artiste peintre Gregory Hergert, se nourrit de l'énergie vibrante et grouillante de la faune urbaine dans laquelle il vit (Portland, Oregon) pour créer des oeuvres éloquentes, satiriques, et saisissantes.  Ses peintures s'éclatent en humour, en couleurs vives, en contrastes frappants, et en érotisme, dans des formes savamment soumises à des distorsions qui produisent des effets sensationnels.

GREGORY  HERGERT
L'américain Greg Hergert est né en 1952 à Corvallis, Oregon.  Mais il a grandi à Shelton, une petite localité agricole et forestière, dans l'état de Washington.  Ses amis étaient des fils de bûcherons.  Ils fumaient tous de la drogue.  Détail important qui explique peut-être pourquoi on retrouve des cigarettes dans la plupart de ses tableaux originaux.

Hergert en a-t-il fumé lui aussi avec ses amis durant son adolescence ?  Je ne le sais pas.  Mais plusieurs drogues provoquent des hallucinations ou des rêves étranges qui ont inspirés bien des artistes visuels ainsi que des musiciens.  Et Hergert a vécu sa jeunesse en pleine période «hippie».  Alors, il se peut qu'il ait été influencé par cette contre-culture révolutionnaire.

ANDY  WARHOL  -  ZEBRA

Son père était un chimiste mais il rêvait d'être un artiste.  Il amenait souvent sa famille voir des expositions dans les musées.  Son fils Gregory a donc été mis en contact avec l'art assez tôt dans sa vie.  Il appréciait particulièrement les oeuvres d'Andy Warhol.  Il aurait bien aimé imiter son idole, mais il n'avait aucune idée de comment y arriver.  

Parmi les arts, le jeune Hergert préférait davantage la littérature.  Il adorait lire des histoires.  Ce goût pour les récits fantastiques l'inspirera plus tard dans sa carrière de peintre.  Par exemple, il a peint une toile représentant la fable du Petit Chaperon rouge.  

À dix-sept ans, il déménage avec sa famille à Madison, dans le New Jersey.  Hergert suit son instinct et ses rêves en choisissant d'étudier en design au Rhode Island School of Design.  Ses collègues étudiants sont pour la plupart des fils d'illustrateurs ou de peintres.

NORMAN  ROCKWELL  -  THE  PLUMMERS  CIRCA
Beaucoup d'entre eux sont des admirateurs du célèbre illustrateur Norman Rockwell (1894-1978).  Greg s'intéresse aussi à son oeuvre, qui l'influencera beaucoup, plus tard dans sa carrière.  De Rockwell il aime particulièrement son style «raconteur d'histoires», ses personnages à la tête surdimensionnée, et l'usage qu'il fait de la caricature pour accentuer le caractère comique de certaines situations qu'il peint.

Fraîchement diplômé de l'école de design de Rhode Island, Hergert retourne chez ses parents, sans savoir quoi faire pour gagner sa vie avec sa nouvelle formation.

Pour se divertir, il regarde souvent son magazine favori, Humorama.  C'est une revue contenant des caricatures comiques et des photos de pin-up (Bettie Page, Eve Meyer), d'effeuilleuses (Lili St-Cyr) ou d'actrices sexy (Joi Lansing, Tina Louise, Sophia Loren), accompagnées de gags pour la plupart sexistes.

Plusieurs dessins montrent des secrétaires sexy au décolleté profond, à la poitrine et au postérieur proéminents, aux pulls moulants, reluquées libidineusement par des patrons ou des collègues masculins.  Certaines d'entre elles ne s'intéressent aux hommes que pour leur argent.

Parmi ces caricaturistes de Humorama, plusieurs sont d'excellents artistes qui ont, ou qui auront de belles carrières.  Il faut notamment mentionner : Dan Decarlo (Archie), Bill Wenzel (Sex to Sexty), Bill Ward (Torchy) et Jack Cole (Playboy).
  
DESSIN  PAR  BILL  WARD
Les anciens numéros de la revue Humorama -surtout ceux de la faste période 1955-1965- sont devenus des objets de collection très recherchés par les amateurs de «vintage» et de «kitsch», ainsi que par des historiens et même, fait surprenant, par des femmes ! 

Ce genre d'art populaire marquera aussi le style pictural du futur peintre Hergert, notamment son goût pour l'hyper sexualisation de ses personnages de femmes en forme de sablier ⌛.

À l'endos de chaque numéro, se trouvent les adresses des collaborateurs du magazine.  Un d'entre eux habite tout près de la famille Hergert.  Greg prend son courage à deux mains et il décide d'aller le rencontrer. C'est ainsi qu'il découvre un mentor qui lui enseignera les trucs du métier d'illustrateur.  Grâce à ses nombreux et importants contacts, il lui fera également obtenir ses premiers contrats.



À Manhattan, New York, qui est le principal centre de l'industrie de la publication aux USA, Hergert se taille une carrière enviable de 1978 à 1997.  Il décroche beaucoup de contrats d'illustrateur, notamment pour Penthouse, McCall's, CBS et la revue Psychology Today.

Ensuite, une expérience marquante viendra changer son orientation et son chemin.  En effet, quand sa mère est atteinte de la maladie d'Alzheimer, Gregory interrompt sa carrière et se rend en Pennsylvanie pour être son proche aidant naturel.  Sa façon de voir la vie, sa pensée, seront transformées par cet épisode éprouvant.

Après le décès de sa mère, Gregory Herbert reprend son métier d'illustrateur, mais, graduellement, c'est la peinture qui l'occupe de plus en plus.
  
UNE  OEUVRE  DE  ROBERT  WILLIAMS
















Il est inspiré par le mouvement artistique «Lowbrow», surnommé également «surréalisme pop», qu'il découvre sur le web.  Né en Californie (L.A.) à la fin des années 1960, ce genre artistique se définit par un amalgame de cultures ou de sous-cultures du type «punk» ou «tiki»; de bandes dessinées comiques underground, et de graffitis.  Un de ses représentants, à l'origine de son appellation «Lowbrow», est le peintre Robert Williams.

Aux fins de ses productions picturales, Gregory Herbert nourrit son imagination fertile de toutes sortes d'images issues de courants artistiques divers, et de quantités de dessins, de photos et d'objets hétéroclites dont l'intense accumulation transforme parfois son atelier en un véritable capharnahüm.

UNE  OEUVRE  DE  JOSEPH  CORNELL

















Mais il accepte ce désordre et apprend à composer avec lui, surtout depuis qu'il a lu un livre au sujet du sculpteur new yorkais Joseph Cornell (1903-1972), qui, comme lui, collectionnait toutes sortes d'objets, les assemblaient pour en faire des oeuvres d'art dans des genres de coffrets ou d'armoires.  Il fut un pionnier dans ce genre artistique.

D'ailleurs, en peinture, chez les surréalistes du siècle dernier, le collage était un art couramment pratiqué.  Herbert s'inspirera également de ces idées et, grâce au merveilleux exemple de Cornell, devenu un maître à penser, celui qui s'est toujours considéré comme étant un marginal, se sentira légitimé d'accumuler autant de choses dans son bordélique atelier !

Au début de son parcours de peintre, Greg Herbert versait pas mal dans la nostalgie et ses souvenirs pour trouver des sujets à peindre.  Mais lorsqu'il s'est mis à simplement observer les scènes de rues autour de chez lui, il a découvert que c'est là que l'action se déroulait et qu'il pouvait y puiser une multitude de sujets à traiter.



Bien des peintres se servent de la photographie comme outil de travail avant de commencer à dessiner.  Herberg utilise rarement ce moyen car les sujets sont intimidés par son appareil photographique, ou bien il arrive aussi que les personnes qu'il veut photographier réagissent agressivement et refusent qu'on leur tire le portrait !  

Avec de l'entraînement, Greg a appris à se passer de son appareil photo, et à mémoriser minutieusement les détails de chaque scène urbaine qui l'inspire pour ses tableaux.  C'est un travailleur acharné, qui passe dix heures par jour, six jours par semaine, à dessiner et à peindre dans son studio.  Ce dur labeur explique pourquoi ses oeuvres sont si abondantes et si riches.

Favorisé par son talent naturel, sa longue expérience, sa curiosité sans bornes, son coeur à l'ouvrage, et les bonnes techniques qu'il a su maîtriser, Gregory Herbert est devenu un des peintres dominants de sa génération.
  
Sa renommée fait en sorte qu'il est très sollicité, y compris à titre d'illustrateur, par toutes sortes d'organismes, d'institutions, ou pour des expositions. D'autres artistes, comme ceux de la scène musicale, ont recours à ses services pour créer leurs affiches de spectacles, ou des illustrations pour leurs albums.

Comme tous les surréalistes, Greg Herbert est toujours à l'affût de ce qui sort de l'ordinaire : l'inusité, l'inorthodoxe, le bizarre.  Il aime peindre des personnages colorés, qui ont du caractère et sont en action.  Il est inspiré par des scènes dramatiques comme des accidents, des incendies, des crises de colère, des confrontations, des interactions intéressantes entre les humains de son entourage urbain.



Il recherche les contrastes, les juxtapositions inattendues, par exemple entre la richesse et la pauvreté, entre les différentes classes sociales.  Il montre souvent les côtés sombres et laids de la ville, ceux que les gens ne veulent pas voir.  Comme les mendiants, les sans abri, la saleté, les crimes.  Les modes en vogue (cellulaires, vêtements, bijoux) et les moeurs actuelles des américains sont également dépeintes dans ses ouvrages.

En ce sens, Herbert se définit comme un communicateur qui veut révéler le côté caché ou pittoresque du milieu urbain, et les multiples facettes de la condition humaine d'aujourd'hui.


Sur ses toiles, les animaux et les humains se mêlent et on ne sait plus qui est qui.  Il dessine des animaux avec des traits humains et vice versa.  Il incorpore des personnages de bandes dessinées ou de dessins animés célèbres.  Il peut partir d'un petit détail et l'extrapoler pour imaginer une histoire complète, qu'il reproduira ensuite sur ses peintures.   

Hergert veut surprendre celui ou celle qui va regarder ses tableaux.  Rendre beau ce qui est laid, comme seuls les peintres les plus talentueux osent, savent et peuvent le faire.  Le tout sous forme de satire fantasque, de comédie délirante, de fantaisie absurde, qui rend ses toiles intéressantes et agréables à regarder et à savourer !

Sur la musique de Big K.R.I.T. (Energy), voici un montage de quelques-unes des plus remarquables oeuvres de Gregory Hergert.  Enjoy !



dimanche 7 novembre 2021

GRÂCE À LYNDA LANKER, LES FEMMES DE RANCH ONT FAIT LEUR PLACE DANS L'HISTOIRE AMÉRICAINE.



Enfants, quand nous jouions aux cowboys et aux Indiens, elles n'étaient pas là.

À la télé, lorsque nous regardons des films de western, elles ne sont pas là.

À l'école, lorsque nous avons étudié l'Histoire Américaine, elles n'étaient pas dans nos livres, non plus.

Jusqu'aux années 1990-2000, j'ignorais leur existence.  Et je peux affirmer que bien peu de gens connaissaient leurs histoires.

Mais grâce à l'immense travail de découverte et de création de la portraitiste américaine Lynda Lanker, ces femmes extraordinaires, exerçant le rude métier de «rancher» dans l'Ouest américain, ont pu trouver leur place dans la grande Histoire de leur vaste pays.  

Oui, ces femmes valeureuses exploitant d'immenses ranchs de l'Ouest américain en s'occupant du bétail, des chevaux, des cultures et des autres durs travaux de cet exigeant métier ordinairement exercé par des hommes appelés «Cowboys», ont réellement vécu ce genre d'aventure peu commune.



Pendant près de vingt ans de labeur, en révélant au monde entier l'existence et les histoires fascinantes de ces femmes fortes et indépendantes à travers ses dessins ou ses portraits peints avec une multitude de techniques et de matériaux artistiques, Lynda Lanker, une Américaine de Eugene, Oregon, née en 1943 à Kansas City, a tellement été marquée par cette expérience et ses sujets, qu'elle en a été personnellement changée à jamais.

Il faut dire que c'était un sujet de rêve pour une artiste peintre.  Un sujet riche, jamais exploré, révélateur, sensationnel : une mine d'or !  Avec des paysages et des personnages fabuleux, beaux à couper le souffle, dignes des héros de la Conquête de l'Ouest.  Des portraits d'héroïnes insoupçonnées, d'autant plus précieux qu'ils décrivent une race en voie d'extinction, qui risquait de s'éteindre avant même qu'on l'ait découverte...

Désormais, depuis cette année, leur précieux héritage est conservé pour toujours par un musée du Texas, le «National Cowgirl Museum and Hall of Fame» qui a acquis 65 portraits de l'oeuvre magnifique de Lynda Lanker, qui avait aussi été exposée auparavant, à divers endroits aux USA, et qui a également fait l'objet d'un livre intitulé «Tough by Nature».



Au départ, au début des années 1990, «Tough by Nature» était un tout petit projet dont l'idée était de Elizabeth Brinton, une amie peintre de Lynda Lanker.  Le lieu visé était une petite partie de l'Est de l'état de l'Oregon.  Brinton devait peindre les paysages et Lanker les personnages.  Cette dernière voulait pousser plus loin ses investigations mais son amie n'était pas disposée à voyager davantage.  Lanker décida alors de faire cavalier seul.

Pendant qu'elle visitait de plus en plus de ranchs tenus par des femmes, en la voyant peindre de plus en plus de portraits, son mari, le renommé photographe Brian Lanker réalisait bien plus que son épouse à quel point ses travaux étaient importants.  Qu'ils étaient véritablement historiques...

Aux yeux de Brian Lanker, ce projet formidable devait être élargi; faire l'objet d'un livre où non seulement l'oeuvre de sa conjointe devait être reproduite, mais montrer également des photographies de ses singuliers sujets, et transcrire les interviews que Lynda faisaient avec eux.

Brian Lanker, fortement impressionné, et conscient de la valeur inestimable du projet artistique de sa tendre moitié, décide alors de mettre en veilleuse ses propres projets professionnels pour se consacrer pendant au moins un an à mettre en valeur et à promouvoir les travaux de sa femme.  Malheureusement, il ne peut achever sa tâche puisqu'il meurt d'un cancer dans les mois suivants.  Mais le projet du livre qu'il voulait faire lui survit et il fait maintenant lui aussi partie de l'Histoire sous le titre de «Tough by Nature».



Pendant deux décennies, Lynda Lanker a parcouru treize états de l'Ouest américain.  Elle a interviewvé, photographié, dessiné, peint, connu et admiré une cinquantaine de ces femmes de ranch.  La plupart de ces êtres originaux étaient assez âgés.  Plusieurs sont décédés depuis.  Les plus jeunes se distinguaient parfois par leur participation à des rodéos.

Ces femmes fantasques ont confié à madame Lanker qu'elles avaient une particularité par rapport à leurs collègues masculins participant aux courses de barils, au concours de lancer du lasso ou de capture de veaux, ou en chevauchant des taureaux sauvages.  Lorsqu'elles se blessaient (fractures) en tombant de leur monture, elles ne montraient pas leur douleur aux spectateurs parce qu'elles ne voulaient pas qu'ils la plaignent en disant que c'étaient de faibles femmes qui ne devraient pas essayer de rivaliser avec des hommes naturellement plus durs à leur corps... 

Dans les portraits de Lynda Lanker, ces cowgirls plus jeunes se distinguent aussi de leurs aînées par leur attitude joyeuse, exubérante, défiante.  Tandis que leurs consoeurs plus âgées montrent souvent un visage ridé, brûlé par le soleil ardent de l'Ouest, un visage fatigué, pensif et parfois mélancolique.



Cette usure s'explique non seulement par la rudesse de leur métier mais parce qu'elles ont dû être des «super women» qui, en plus de trimer dur sur leur ferme, ont été des mères qui ont élevé leurs enfants tout en tenant maison.

Si elles semblent un peu tristes, c'est qu'elles n'ont pas de relève pour leur ranch.  Âgées, à bout de force, elles se résignent à vendre leur propriété, souvent à de grands propriétaires terriens, qui agrandissent ainsi leurs terres pour y pratiquer une agriculture industrielle fortement mécanisée et automatisée.

Ou bien ce sont de gros promoteurs immobiliers qui achètent leurs terres bien-aimées et la transforment en développements résidentiels, prolongeant ainsi la ville toute proche.

Au moins, avant de disparaître, ces femmes exceptionnelles auront eu la consolation d'être enfin reconnues par le monde, et immortalisées grâce à l'art fantastique de Lynda Lanker.



Certaines d'entre elles ont visité l'exposition à titre d'invitées d'honneur.  Elles étaient à la fois heureuses, émues et fières, de savoir qu'elles ne seront pas oubliées; de savoir qu'elles ont maintenant leur place dans l'Histoire de leur grand pays; et d'avoir démontré courageusement cet autre «american way of life» trop méconnu, celui du mystique Ouest américain.

Voici un aperçu de cette merveilleuse exposition :