jeudi 31 mars 2011

LA "TENNIS GIRL" DE MARTIN ELLIOTT : UN CHEF-D'OEUVRE CLASSIQUE TEINTÉ D'HUMOUR ET DE SENSUALITÉ !


Ceux et celles qui ont bien connu le photographe anglais Martin Elliott (1946-2010) l'ont décrit comme étant un esprit libre. Un homme déterminé possédant un grand sens de l'humour. Un farceur, un bon vivant et un éternel optimisme qui a toujours essayé de profiter pleinement de la vie. Enfant unique, élève brillant, il a terminé ses études sans savoir quel métier il voulait exercer. Son père travaillant dans le domaine de l'assurance, le jeune Martin tenta de suivre ses traces mais il se rendit compte rapidement que ce boulot l'ennuyait. Il en fut tout autrement lorsqu'il décida de s'intéresser davantage à la grande passion de son paternel : la photographie. Pour apprendre la profession, il s'inscrit au collège d'art de Loughborough. Et afin de compléter son éducation il fréquente le Royal College of Photography de Birmingham. Désirant vivre de son art, Elliott rêvait de vendre ses photos pour qu'elles deviennent des posters.



À cette époque, en 1976, le photographe en herbes entretenait une relation amoureuse avec une étudiante en art de 18 ans du nom de Fiona Butler, qui habitait toujours avec ses parents. Par un bel après-midi d'été, les deux tourtereaux se rendent sur le court de tennis de l'Université Birmingham, à Edgbaston, pour une séance de prises de photos. Martin a emprunté une raquette et il a fait confectionner une tenue de tennis "sexy" par un ami. Tout se déroule naturellement et fort bien. Ils ont beaucoup de plaisir. Cependant, Martin n'est pas satisfait de la lumière sur un de ses clichés. Lui et sa belle font un nouvel essai l'après-midi suivant, au même endroit. Cette fois, les conditions sont parfaites. Fiona, qui ne connaît pourtant pas le tennis et n'a jamais appris à en jouer, collabore très bien avec son amoureux et, telle une grande actrice, paraît à l'aise dans son "rôle de composition". Il faut dire qu'elle avait le physique de l'emploi pour mystifier tout le monde : épaules larges, corps d'athlète, pas de sur-poids. L'illusion était parfaite : elle ressemblait à une vraie professionnelle du tennis ! Lors de la prise de photo elle est statique mais donne réellement l'impression de marcher...



Publiée pour la première fois, la même année, à l'occasion du Jubilé de la Reine, la photographie connaît un succès instantané. Elliott la vend à l'agence Athena mais conserve un copyright. Il réalise son rêve quand son oeuvre se retrouve sous forme de poster et de calendrier dans une quantité impressionnante de chambres de garçons, un peu partout dans le monde ! À ce jour, il s'en est vendu pour plus de deux millions de copies, ce qui en fait la photographie la plus populaire de tous les temps ! Pourquoi est-elle devenue une icône classique des temps modernes ? À cause de son originalité, de son caractère intemporel, de sa brillance. On l'a qualifiée de "portrait de l'élégance dans la simplicité". De par la pose sculpturale adoptée par le joli modèle, il me semble que cette oeuvre emprunte un petit quelque chose de l'art des statues grecques de l'Antiquité. Qu'elle est une image actualisée des déesses à robe blanche de la mythologie. Avec également une touche sensuelle symbolisant la libération sexuelle des femmes des années '60 et '70. De plus, la maîtrise de la luminosité démontrée par Elliott, produit un effet pictural digne des grands peintres. Il colore brillamment, et de façon bien dosée et équilibrée, chacun des éléments ou des champs de la photographie. Pour en arriver à un résultat si éclatant, peut-être que Fiona et Martin ont su mettre magistralement à profit leurs études en histoire de l'Art !



Ce qui a contribué à captiver les esprits autour de cette photo, c'est son aura de mystère. Elliott n'a révélé l'identité de son modèle que 25 ans après la réalisation de son oeuvre-phare. Celle qui a fait sa renommée et une partie de sa fortune, bien que les biographes du photographe, né le 12 juillet 1946 à Oldbury, ne s'entendent pas sur le montant d'argent qu'il a pu tirer de ce cliché célèbre. Au début, les bonzes de l'art photographique n'ont pas reconnu la valeur du travail de Martin Elliott. Ils le regardaient pas mal de haut, avec un certain mépris. Le jeune homme était inconnu et plusieurs usurpateurs ont tenté de revendiquer la paternité de son oeuvre. Tout comme plusieurs femmes ont prétendu être le modèle apparaissant sur la photo. Ils ont tous été confondus. Les gens croyaient que c'était une star du tennis photographiée à son insu. On a longtemps et vainement essayé de deviner son identité en comparant des photos de joueuses bien connues, prises de dos.



Ce chef-d'oeuvre a tellement marqué son époque qu'il a eu une foule d'imitateurs et a été l'objet de bien des parodies. Elle a aussi fait partie des présentations de la populaire émission satirique SPITTING IMAGE à la télé anglaise. Des célébrités comme Paris Hilton et la chanteuse Kylie Minogue (photo ci-dessus) y ont puisé leur inspiration. D'autres comme les acteurs Ernest Borgnine et Charlton Heston ont été des admirateurs de la fameuse composition de Butler et Elliott. Le cruel meurtrier en séries Dennis Nielsen en était aussi un fan.



Fiona et Martin se sont fréquentés pendant deux ou trois ans avant de mettre fin à leur liaison. Ils sont restés amis. Aujourd'hui âgée de 52 ans, Fiona (ci-dessus) est encore fière de cette photo passée à l'histoire. Un accomplissement qu'elle n'aurait jamais pu imaginer lorsqu'elle a posé naïvement pour Elliott. Elle croit que c'est la qualité de la lumière qui rend cette photographie si belle et si exceptionnelle. Celle qui est maintenant illustratrice et a épousé le millionnaire Ian Walker, avec qui elle a eu un fils et des jumelles, n'a jamais reçu un sou pour sa collaboration au travail de Martin Elliott. Elle n'en a jamais eu de peine ni de ressentiment puisque c'était une faveur qu'elle faisait à son ami. Fiona sourit toujours lorsqu'elle revoit la photo, et ses enfants disent aux gens que c'est leur mère qui apparaît sur ce cliché extraordinaire. Mais rares sont les personnes qui les croient.



Martin Elliott, un maniaque de surf, de camping-caravaning et de moto, a fait carrière en publicité et a longtemps travaillé dans son studio de photographe professionnel à Birmingham. Il a développé un style très personnel, et facile à reconnaître, axé sur diverses techniques d'éclairage. Il a fait beaucoup de calendriers. Il a lutté courageusement pendant une dizaine d'années contre une forme rare de cancer à la poitrine, avant d'en mourir en mars 2010. Jusqu'à la fin, le fameux photographe de la classique "tennis girl" n'a pas cessé d'exercer son excellent sens de l'humour et de faire preuve d'un optimisme illimité, en faisant des blagues et en croyant toujours que sa santé irait mieux. Il a laissé à l'humanité une oeuvre qui vaut la peine d'être appréciée à sa juste valeur...