dimanche 18 juillet 2010

SOUS LE CHOC VISUEL DE LICHTENSTEIN

J'imagine que ça peut arriver à tout le monde. Sans pour autant être dépressif. Même en étant jovialiste. Un jour ou l'autre, c'est dans l'air du temps, dans les aléas d'une vie humaine normale : on sent un besoin de fuir la monotonie du train-train quotidien, de mettre de la couleur dans nos rêves, de balayer la poussière des choses banales, de changer de décor et d'idées, d'ouvrir notre télescope sur une autre galaxie, d'aller voir ailleurs pour trouver du nouveau et de l'extraordinaire. Point besoin, pour s'évader, de basculer dans les paradis artificiels que sont les drogues ou l'eau-de-vie. Moi je préfère appareiller pour le beau pays des arts. Pour découvrir comment des artistes de génie ont pu voir l'univers autrement, fantastiquement. Comme l'enfant que j'ai été, je plonge hors du temps, dans des livres d'images aux paysages fabuleux, peuplés de créatures singulières habillées de couleurs éclatantes. Je pars en voyage dans les oeuvres fourmillantes de trésors des grands peintres.

En pénétrant dans le subconscient et la fantaisie des grands créateurs picturaux, j'oublie tous mes maux et mes problèmes. Je me laisse emporter, aspirer, par une attraction irrésistible, par une vision fascinante, magique. Cette démarche, cette découverte, devient une prescription contre l'ennui et les limites de temps et d'espace. Le choix de l'oeuvre et du peintre varie selon mes états d'âme et de corps. Si je manque d'énergie et que je sens une langueur insidieuse m'envahir, j'ai le remède qu'il me faut dans la stimulante et remontante puissance de ce que l'on a appelé le POP ART. Ce don, cet art de voir avec un relief tranchant et une verve enthousiaste des objets de la vie moderne ou des personnages artificiels plus grands et plus vivants que nature ! Une bonne dose de WOW, de points d'exclamation, d'énergie revigorante, dans une grosse capsule d'expressivité exacerbée. Un coup de fouet d'émotions vives, un choc visuel qui frappe, qui réveille, qui éblouit, qui nous ressuscite ! J'ai trouvé tout ça dans l'oeuvre éclatée, multidimensionnelle et multidisciplinaire du roi du POP ART, Roy Lichtenstein (New York 1923-1997).

En fait, lorsque la force incroyable et l'impressionnante vitalité de New York ont rencontré cet homme exceptionnellement doué pour le dessin et le design, ce fut tout un coup de foudre ! Quand, au début des années soixante, Lichtenstein a trouvé son style époustouflant, tout à fait BIG APPLE; la métropole américaine, les New Yorkais, l'ont célébré comme peu d'artistes l'ont été en leur temps. Il a su incarner le flash, la trépidation, l'excitation, le gigantisme, l'esprit fantasque de New York. Ce mariage parfait a porté fruits : un succès commercial phénoménal, une renommée étoilée, dont peu de peintres ont pu s'enorgueillir de leur vivant. À partir des années '80, certains tableaux de Lichtenstein se vendaient déjà pour des millions de dollars.

Dès l'adolescence, le goût et l'intérêt de Lichtenstein pour le dessin et la science se manifestent. Dans cette combinaison inhabituelle de passions il peut sembler y avoir une contradiction mais, même si Lichtenstein choisira la peinture comme profession, il le fera avec un zèle pour la recherche, et un goût de l'expérimentation, propres à l'approche scientifique. À seize ans, il étudie sérieusement l'art du dessin et de l'aquarelle. Le jeune homme aime fréquenter des clubs de jazz et réaliser des croquis des musiciens qu'il admire. Plus tard, lors de sa période faste des années '60, il se fera d'ailleurs plaisir en produisant des affiches pour des festivals mettant en vedette ce genre musical (voir ci-haut). Mais auparavant, la Seconde Guerre Mondiale interrompt sa formation puisqu'il doit faire son service militaire en Europe, de 1943 à 1946. L'armée met à contribution son talent pour le dessin en le chargeant de produire des cartes qui montrent les positions des forces ennemies.

Après le conflit, Lichtenstein complète son éducation et se met à peindre, puis à enseigner. Dans les années '50 il est très influencé par des confrères professeurs et des artistes de la nouvelle génération. Le cubisme et Picasso l'inspirent également beaucoup et auront des effets durables sur son art. Il en viendra à développer un style original que l'on peut qualifier d'expressionnisme abstrait. Au cours de cette période, le New Yorkais attire suffisamment l'attention et réussit à se faire un nom au point de pouvoir avoir droit à quelques expositions individuelles dans sa ville natale. Mais il est plus ou moins satisfait de ses accomplissements. Il cherche sa voie. Il explore. Il tente diverses expériences.

L'élément déclencheur de son accession à la célébrité sera cette toile (Girl With Ball, 1961). Des professeurs, des sommités, des experts, des amis artistes à qui Lichtenstein montre son catalogue d'oeuvres, pointent tous leur doigt sur cette création rassemblant fraîcheur, beauté plastique et maîtrise technique. Ils encouragent son auteur à exploiter ce filon. Dans ses travaux précédents, au temps de sa pratique de l'expressionnisme abstrait, Lichtenstein avait incorporé dans ses tableaux des silhouettes déformées de personnages de dessins animés tel que Bugs Bunny. Il avait aussi vu que certains peintres avaient déjà produit sur toile des séquences de dessins attachés les uns aux autres comme ceux des "comics" publiés dans les journaux. L'idée lui vient alors d'isoler ces scènes ou ces personnages de BD pour en faire des sujets pour sa peinture. Tout comme les concepts, les dessins ou les photographies qui servaient à faire de la publicité dans les médias. Poussant encore plus loin son idée, Lichtenstein empruntera ou reproduira la trame pixelisée ou les caractères d'imprimerie que l'on pourrait distinguer en observant une BD de journaux, avec une loupe. En quelque sorte, on pourrait ainsi voir en gros le "grain" (la multitude des points d'encre composant le dessin) du papier coloré d'un extrait de bande dessinée.

Comme on peut le constater dans les chefs-d'oeuvre Torpedo Los (ci-dessus, vendu pour 5,5 millions de $ en 1989) et Girl With Hair Ribbon (qui coiffe l'en-tête de cet article et qui a trouvé preneur pour 6 millions de dollars au début des années '90), l'effet visuel de cette idée et de cette technique fut prodigieux. Dès 1962, année la plus productive pour Lichtenstein, les collectionneurs s'arrachent littéralement ses tableaux, exécutés selon ce style flamboyant et si vibrant. Ainsi, cette année-là, avant même le début d'une grande exposition à New York, toutes les toiles du maître sont déjà vendues. Un exploit peu commun... C'est la folie ! L'année suivante, l'artiste abandonne son poste de professeur d'université pour se consacrer entièrement à son oeuvre. Il emploiera le reste de la décennie à satisfaire le goût insatiable du public pour ce qui restera le style et la mode POP ART, à la Lichtenstein.

Cette mode, cette manière de peindre, fera école et aura de nombreux imitateurs jusqu'à nos jours. On a dit que le pape du POP ART, Andy Warhol, avait aussi eu l'idée de créer le même genre de peintures que son confrère, mais qu'il a dû renoncer à ses projets, ayant été tout simplement pris de court par le succès aussi retentissant que fulgurant des oeuvres de Lichtenstein. Warhol aurait passé pour un copieur s'il avait donné suite à ses plans. Mais ce désir d'être très commercial, de profiter d'une mode ou d'un engouement populaire, se retrouvait au coeur du courant POP ART. D'ailleurs, les propagandistes de ce mouvement ne cachaient pas leur penchant mercantile. Lichtenstein a reproduit son style non seulement sur des toiles mais sur une grande diversité de supports et de matériaux. Ses sculptures, affiches, étampes, couvertures de revues, lithographies, sérigraphies, collages, décors, tapisseries, murales, ont été exécutés sur du verre, du bois, des tissus, du métal, de la pierre, divers types de papier, de la porceleine et même des automobiles ! Il s'est servi de plusieurs méthodes, techniques et outils pour exprimer les mille et une facettes de son immense talent.

Adaptant les travaux d'autres artistes, transformant, mélangeant, réinventant et unifiant les genres, il a sublimé et magnifié les images qu'il a mises en scène comme un cinéaste ou un homme de théâtre. Par de grands traits de pinceau ou de crayons, à coups de jets d'encre et de couleurs; en utilisant des effets théâtraux comiques ou dramatiques, des cadrages cinématographiques, des jeux d'illusion, de perspective et de miroir, il a réinterprété souvent de façon humoristique et satirique les clichés du rêve américain et du "American Way of Life". Des clichés instantanés, comprimés, "qui disent tout d'un seul coup ", empruntés à l'art de la publicité. Des images impressionnantes, frappantes, convaincantes, faisant une synthèse, un condensé imposant d'une idée claire, d'émotions fortes, d'actions prises sur le vif du moment le plus palpitant -comme les scènes figées d'un film d'action qui se serait arrêté lors de sa projection sur un écran de cinéma géant-.

En embarquant dans le tourbillon d'images de rêve de Lichtenstein, comment rester insensible à la vue de ses blondes sensuelles aux lèvres pulpeuses ? Comment ne pas être captivé par les attitudes viriles et les traits expressifs de ses super héros à la mâchoire carrée ? Comment ne pas avoir le souffle coupé par ses scènes de batailles et de guerre qui semblent vouloir nous entraîner dans leur tumulte ?

Même si l'histoire et le public a privilégié ses oeuvres à succès des années '60, on aurait tort de limiter la carrière de Lichtenstein à cette seule époque. Il existe 4 500 objets d'art, en circulation dans le monde, reliés à la richesse de l'imagination et à l'habileté des mains d'or du grand maître du POP ART, décédé à Manhattan en 1997, à l'âge de 73 ans, des suites d'une pneumonie. L'artiste était pourtant encore pimpant. Il aurait pu donner d'autres exemples de son génie créateur... Dommage que la mort l'ait emporté trop tôt...


Le montage audio-visuel qui suit, fournit un aperçu de l'ensemble des plus belles réussites artistiques de Lichtenstein. Chose certaine, lors de mon prochain séjour dans la Grosse Pomme, je compte bien refaire le plein d'énergie en me branchant sur la vitalité sans pareille de la ville et en faisant un détour à la ROY LICHTENSTEIN FOUNDATION où est exposée une grande partie de l'héritage plein de vie de cet illustre maître des chocs visuels et de la beauté artificielle.