L'artiste peintre américaine Zoey Frank ressemble à une scientifique. Chaque jour, elle fait de la recherche en peignant ses tableaux. Elle évolue d'un tableau à l'autre, chaque toile répond formellement à l'autre. Curieuse, elle questionne, enquête, formule des hypothèses dont elle vérifiera la validité en peignant.
Elle entretient une sorte de conversation ou de dialogue avec sa toile. Ça devient une rencontre entre elle et son sujet. Une rencontre qui s'enrichit au fur et à mesure de son dénouement, et qui parvient à définir sa propre façon de percevoir son environnement, et le monde.
Sans plan pré établi, sans thème ou objet particulier, elle part presque du hasard, ou d'une idée furtive, pour se lancer dans une recherche formelle active. Le point de départ pourra aussi être l'application d'une étude de couleurs, ou un simple croquis. Un élément en appellera un autre. S'il ne convient pas au premier, ou au 10e, il sera effacé partiellement, gratté, enlevé, superposé, ou modifié.
Une toile ne sera finie que si l'oeil averti de Zoey Frank n'accroche nulle part sur le canevas. Si tout est respecté : composition, espace, couleurs, équilibre, rythme, tension, lumière. Ou si un problème précédent a bien été résolu.
Le tout est fait dans un but esthétique, qui fait briller les petits détails, les petites choses ordinaires, anodines, ou négligées, qui deviennent tout à coup, par son art, des objets ou des motifs de beauté, qui nous touchent avec éloquence.
Ce qui est extra avec cette artiste née en 1987, à Boulder, au Colorado, c'est la riche diversité de ses oeuvres. Elle ne se cantonne pas, comme beaucoup d'autres peintres, à un style, un genre, ou à un sujet en particulier.
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Certains peintres sont strictement des paysagistes, des portraitistes, des naturalistes, etc. Zoey Frank peut être tout cela à un moment ou à un autre. Sa peinture évolue sans cesse, mais elle semble aller de plus en plus vers l'abstraction. Bien que le figuratif garde toujours une place pour bien ancrer la composition dans la vérité.
Enfant, la petite Zoey passait beaucoup de temps à dessiner ou à fabriquer des choses. À l'école, en 7e année, après une leçon portant sur la Renaissance Italienne, c'était décidé : elle serait une artiste.
L'été suivant, elle suit des cours de dessin, et la suite de son éducation fut orientée vers l'art pictural. Rendue à l'étape de l'apprentissage au niveau collégial et universitaire, Zoey s'impatiente et choisit une formation plus pratique en s'inscrivant à "l'Atelier Classique de la Gage Academy of Art". Elle étudie avec Juliette Aristides.
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À cet endroit, elle acquiert les techniques et les compétences de base du métier de peintre (leçons d'anatomie, d'observation, de structures). C'est une formation traditionnelle, classique. On apprend ce qu'il faut faire, et ne pas faire.
Mais les procédés enseignés à cette école sont trop limitatifs ou étouffants pour Zoey Frank. Certes, ils fournissent des outils utiles et nécessaires pour savoir peindre, mais la jeune peintre voudra rapidement s'affranchir des normes que ces procédés sous-tendent.
Frank sent alors le besoin de pousser plus loin son désir de se perfectionner. Elle fait sa maîtrise en art (Master of Fine Arts) au Laguna College of Art and Design, à Laguna Beach, en Californie.
Dans cette école, elle apprend grâce à une grande variété de professeurs. Elle apprend aussi au contact d'une multitude d'étudiants venant de tous les horizons. Les travaux pratiques, également fort diversifiés, lui permettent d'essayer des techniques et des méthodes nouvelles, qui vont l'orienter vers la découverte de sa propre façon personnelle de peindre.
Zoey Frank n'attendra pas de maîtriser tout son savoir technique ou professionnel pour commencer à peindre sérieusement. Déjà, durant ses études, -et pour justement payer ses études-, elle vendra ses toiles sur le marché public. On lui a pourtant conseillé le contraire, c'est-à-dire, attendre d'être bien établie avec un bon nombre d'oeuvres valables, avant de les publier.
Mais, puisque, instinctivement, le talent est déjà là, et qu'elle veut explorer l'univers visuel vers lequel elle tend, et pour lequel elle se passionne au plus haut point, Zoey Frank lance sa carrière, sans attendre. Les ventes hâtives de ses toiles, l'attention et la collaboration rapides des galeries d'art, lui prouvent qu'elle avait raison de précipiter ses débuts professionnels.
Bien sûr, Zoey Frank ressentait de l'incertitude et de la vulnérabilité en se lançant si jeune dans l'exigeant monde commercial. Après avoir progressé dans son métier, madame Frank a pu jeter un oeil critique sur ces premières toiles rendues publiques. Elle y a vu les défauts et les erreurs, mais elle a aussi constaté qu'ils lui avaient servie à progresser dans son développement en tant qu'artiste. Elle avait simplement fait de son mieux, à cette étape précoce de son cheminement...
Sa façon unique de peindre, elle l'a davantage apprise par elle-même, en autodidacte, en observant les oeuvres des grands maîtres à travers l'Histoire. En comprenant, adaptant et modernisant leur approche, leur langage pictural, leur style, leur perception du réel, et leur manière de peindre. Zoey Frank pourra même s'inspirer de leurs divers procédés à travers les époques (médiéval, cubisme, moderniste, etc) pour peindre différemment un même objet, aussi banal ou stupide qu'un sandwich, par exemple.
Cette étude de l'évolution historique de l'art de peindre a exacerbé cet intérêt initial et primordial dans son propre art : montrer le mouvement, le changement progressif des objets, des endroits, des situations, et des êtres. Ce faisant, Zoey Frank refuse le concept de "nature morte", et on verra dans ses toiles beaucoup de fragmentations, et de superpositions.
Par exemple, des objets, des plantes, des endroits, pourront être peints plusieurs fois selon qu'ils auront vieilli, ou changé en fonction du temps, ou de la lumière extérieure; au fil des heures de la journée ou des saisons. La toile pourra même conserver des éléments rappelant l'état initial du début du changement, ou les étapes suivantes du mouvement.
Madame Frank aime jouer avec les échelles de grandeur des objets et des figures sur ses tableaux. Elle veut établir des relations actives, entre les divers éléments de ses compositions. Dans l'espace de ses toiles, chaque endroit, chaque objet, chaque forme, chaque couleur, chaque position, est d'importance égale. Même l'arrière plan...
Chacun des élément est une pièce du puzzle, et il doit être placé au bon endroit, au bon moment. Tant qu'il ne l'est pas, Zoey cherchera ce qui ne va pas dans la composition du tableau. Elle pourra ajouter, enlever, modifier l'élément problématique dix fois, vingt fois, jusqu'à ce qu'elle ait trouvé la solution satisfaisante qui s'accorde à l'ensemble des parties de l'oeuvre.
L'élément manquant, qui sera ajouté, est souvent insolite : une couleur surprenante, une plante exotique, un oiseau en cage, ou une forme géométrique inattendue. Tout ça pour dynamiser l'ensemble de la toile, attirer la curiosité ou l'attention de l'observateur, en le déstabilisant un peu...
Ce qu'elle vise par ce procédé, c'est créer un impact, un choc visuel, sans que le sujet ait nécessairement une signification explicite. Elle dira : «Je ne veux pas peindre ce que je vois, mais ce que je ressens en peignant».
Son approche est profondément contemporaine. Elle valorise le processus, l'intuition, la transformation. Elle ne cherche pas à illustrer un sujet, mais à faire émerger une peinture vivante, vibrante, qui reflète son cheminement artistique personnel.
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Zoey Frank utilise la peinture comme un laboratoire visuel pour tester, déconstruire et réinventer les règles de la composition, de la couleur et de l'espace pictural. Elle procède par essais et erreurs, un peu à la façon d'un savant dans son laboratoire. Chaque correction est une avancée vers une découverte révélatrice. Elle cherche à équilibrer les couleurs et les masses.
C'est toujours un "work in progress" expérimental, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien à apporter ou à modifier pour faire du tableau une réussite. Selon que Zoey Frank rencontre des difficultés ou des problèmes, en peignant une toile, celle-ci pourra demeurer incomplète, ou en "jachère", pour des semaines ou des mois, en attendant que le temps fasse son oeuvre.
Elle ne s'acharnera pas en vain, ou jusqu'à l'écoeurement, sur une toile difficile, qui refuse de livrer ses promesses, ses clés, ou ses secrets.
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C'est ainsi que madame Frank pourra avoir une dizaine de tableaux en attente. Pas question de forcer les choses pour, par exemple, fournir un nombre "x" de toiles pour une exposition à venir. Dans son travail quotidien, c'est essentiel de garder la fraîcheur et l'élan initial.
Puisque chaque tableau de Zoey Frank est le fruit d'expérimentations de toutes sortes qui se révèlent dans plusieurs couches de peinture sur la toile, l'observation de ses oeuvres, par l'amateur d'art, devient un voyage visuel qui provoque une sorte de rêve éveillé, entre le réel et l'irréel, entre la perception et le sentiment.
Chaque regard dévoile de nouveaux détails du tableau, qui tracent une perspective originale et racontent de nouvelles parties d'une histoire captivante, quoique, parfois, assez déroutante.
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Puisque les oeuvres figuratives de madame Frank intègrent de plus en plus de caractères abstraits, il me semble qu'elles s'approchent du surréalisme, sans en épouser pour autant le côté sombre, et sans devenir brouillonne. Au contraire, ses peintures demeurent charmantes, et un brin innocentes, ou doucement nostalgiques.
Elle ne sait pas elle-même ou ses expérimentations de "laboratoire" vont la conduire dans le futur. Mais à en juger par le chemin parcouru, on ne risque pas d'être déçu par son évolution.
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